vendredi 28 mars 2008

Kouchner ou l’art du grand écart

Comment l’inventeur du droit d’ingérence, l’humanitaire plébiscité depuis 30 ans par les Français a-t-il pu s’assagir de la sorte, au point de n’être plus que l’ombre de lui-même et de ses combats passés ?

« C’est un homme gentil, mais il me fait toujours rire quand je l’écoute : on l’a souvent vu déclarer quelque chose le matin, et le contraire le soir » dit de lui le chef de la diplomatie libyenne.
Une attitude pour le moins déroutante dont Bernard Kouchner est coutumier depuis longtemps.

Aujourd’hui aspiré par l’ouverture et par la diplomatie que nécessite son rôle, le « French doctor » semble devenu un adepte de la « Realpolitik » jusque dans un conflit cher à son cœur, celui du Tibet.

Le « Robin des droits »
Celui qui a reçu le dalaï-lama en 1990 et fait des déclarations tonitruantes sur la situation du Tibet dans les années 90 déçoit aujourd’hui. Avant d’avoir jugé mardi à l’Assemblée « pas supportable » la répression chinoise des dernières semaines, il avait affirmé un peu plus tôt au micro d’Europe1 : « Ne soyons pas plus tibétains que le dalaï-lama ». Ces prises de positions très contradictoires lui valent de sérieuses inimitiés. Ainsi Arnaud Montebourg, socialiste comme lui, lui assène cette phrase cruelle fin 2007 dans l’hémicycle, au moment de la visite du colonel Kadhafi : « Jusqu'où irez-vous dans la négation de vous-même ? » C’est vrai qu’on ne le reconnaît plus notre « french doctor », celui qui incarne l’humanitaire à la française, avec tout son cortège de valeurs nobles.

Pourtant Bernard Kouchner pour la majorité des Français, c’est avant tout un humanitaire, presque un super-héros indétrônable. L’homme de 69 ans figure toujours dans l’imaginaire national avec son éternel sourire et son faux air de Robert Redford. Tous se souviennent de ce jeune médecin scandalisé par la famine au Biafra qui crée Médecins sans Frontières fin 71, puis Médecins du Monde en mars 80. Depuis 30 ans, Bernard Kouchner a ainsi été vu aux côtés des opprimés, que ce soit en Afrique ou au Kosovo.


Adepte de l’éternel retour

Cet amoureux des flashs, des caméras et de la médiatisation, a néanmoins su se tenir à l’écart des querelles intestines du parti socialiste, qu’il rejoint dans les années 80. Depuis toujours, Bernard Kouchner ne représente que lui-même. Ce qui explique en partie sa longévité en politique, et sa place à part dans le cœur des Français. Celui qui été ministre de la Santé, a été depuis ostracisé par ses camarades socialistes. Mais il voulait revenir sur le devant de la scène. Aussi lorsque Nicolas Sarkozy lui propose le portefeuille de diplomate des diplomates, il hésite sûrement, mais il dit « oui ».

« Je ne trahirai pas. Je n'irai jamais dans un gouvernement de droite » claironne-t-il en 2003. L’homme de gauche qu’il est depuis toujours se retrouve pourtant en 2007 dans un gouvernement de droite. A-t-il cédé aux sirènes de la médiatisation qu’il aime tant, au risque de se perdre en route ?

Acceptant cette offre, on attend de lui des miracles ou du moins des positions engagées, celles de l’humanitaire que l’on connaît. On voudrait le voir à nouveau sac de riz sur l’épaule comme en 1992 en Somalie, porter les droits de l’Homme aux quatre coins du monde… Au lieu de cela, Jack Lang se sent obligé de le secouer « Bernard, sors de ta réserve ! Nous avons été ensemble ministres de François Mitterrand, nous avons à plusieurs reprises reçu le dalaï-lama. Que sont devenues les paroles enflammées et justes que tu prononçais ? »

Et c’est bien parce qu’il a prononcé ces paroles et qu’il a eu ces positions engagées qu’il « attire la foudre un peu plus que d'autres » selon Pascal Boniface de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Mais qui est vraiment Bernard Kouchner ?
Le chantre du droit d’ingérence semble désormais bien loin de ses anciens combats. En 1993, il écrivait dans Dieu et les Hommes, signé avec l'Abbé Pierre : « La voilà l'idée révolutionnaire: que les droits de l'Homme, et non pas les Etats, régissent le monde. (...) Pour les y contraindre peu à peu, il faut une intervention de la communauté internationale, une répression éventuelle, un outil: c'est le droit d'ingérence. »

Des propos à mettre en parallèle avec ses déclarations des derniers jours sur le conflit au Tibet : « Quand on fait de la politique extérieure avec des pays aussi importants que la Chine, évidemment, quand on prend des décisions économiques, parfois c’est aux dépens des droits de l’Homme, ça, c’est le réalisme élémentaire. »

Et si cette fois, on finissait par être vraiment déçus par cet artiste du grand écart ?

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